Auteur: Jacques Cool
Dans le cadre de sa série de quatre causeries hiver-printemps du REFAD, celle du 8 avril dernier portait sur la certification et la reconnaissance des apprentissages, en particulier via les badges numériques.
Réunissant les deux « experts en résidence » Olivier Alfieri et Daniel Baril ainsi que les invités Geoffroi Garon-Épaule et Maxime Pelchat, il fut question d’attestation des apprentissages et de parcours de formation au moyen de microcrédits, de badges numériques et autres dispositifs de reconnaissance, fond et forme. Les verbes certifier, reconnaître, motiver et valoriser sont à l’avant-scène. Dans son expression la plus simple, il s’agit de savoir donner une valeur à l’objet de reconnaissance des apprentissages, à l’heure de transformations profondes possibles dans le monde de l’éducation.
D’entrée de jeu, ce sont les commentaires enregistrés de Robert Luke, directeur général d’eCampus Ontario, qui ont lancé les discussions. Les leçons de l’industrie de la musique en matière de perturbation (qui se souvient de Napster?) servent de métaphore pour illustrer les bouleversements des formes traditionnelles de l’éducation que peuvent occasionner la microcertification et les micro-crédits.
« Les micro-crédits sont aux formes traditionnelles d’éducation ce que le streaming est à la musique aujourd’hui. Il s’agit d’une perturbation qui est centrée sur l’apprenant. Cet avènement des micro-crédits constitue un moment particulier dans l’évolution de l’éducation, indiquant que le temps est venu de faire place à de nouvelles formes d’apprentissage, plus agiles et plus flexibles. »
(Image : Robert Luke)
Selon Luke, ce qui est nouveau c’est la façon dont les microcrédits participent à un mouvement culturel plus large, vers des formes de désagrégation utilitaires appliquées à l’apprentissage.
Olivier Alfieri se pose la question fondamentale : comment rendre visible l’invisible? Comment mettre en lumière les apprentissages de divers types, souvent spontanés et informels, loin des cadres institutionnels d’enseignement? Comment conjuguer de telles actions qui favorisent l’esprit de croissance avec celles de plus en plus présentes dans les formes structurantes (i.e. formelles) qui offrent plus de souplesse, de flexibilité et de granularité?
Daniel Baril partage alors quatre observations :
- D’abord, il importe de bien clarifier les concepts et les termes utilisés. Les attestations peuvent être associées soit à des activités de formation (cours, portions de cours, etc.) ou soit à une reconnaissance des acquis et des expériences externes aux formations (ce qui est à l’origine des badges numériques).
- Reconnaître quoi? Le spectre des acquis étant immense et le fait qu’on puisse badger pas mal n’importe quoi, que voulons-nous reconnaître?
- Comment reconnaître les acquis ? Quels mécanismes pour une attestation valide et reconnue?
- Comment situer les acquis et attestations multiples dans le parcours d’une personne? Pourrait-on en arriver à un référentiel national de qualifications, absent au Québec et au Canada, tout en demeurant agiles, décentralisés et éclatés?
Pour Geoffroi Garon-Épaule, doctorant, entrepreneur et observateur en badges numériques, un badge numérique est un fichier portable qui encapsule numériquement une information. On en fait typiquement trois usages : motiver (ex. ludification d’activités), reconnaître et certifier. En numérisant le badge, on augmente sa découvrabilité (rendre visible, disait Alfieri plus haut) avec une information plus riche et complète, permettant ainsi de mieux reconnaître acquis, savoir-être, engagements, soft skills, etc.; ça laisse des traces! D’ailleurs, on commence à voir de telles attestations numériques au sein du monde académique, attestations qui vont bien au-delà du parascolaire, donc liées à des diplômes et certificats…
« Près de 100 millions de badges numériques ont été octroyés dans le monde. Ce n’est plus un phénomène de mode. »
L’enjeu des plateformes est réglé. On assiste à une stabilité et à une consolidation respectant largement le standard Open Badges. Ce n’est donc plus un enjeu technologique, selon Garon-Épaule. Le véritable enjeu est celui de la reconnaissance; le monde du travail est résolument tourné vers les profils de compétences, validés par les institutions de formation. On bascule donc vers la formation par compétences. [NDLR: cette affirmation nous rappelle celle de Tony Wagner, stipulant qu’aujourd’hui ce n’est pas ce que tu sais qui compte mais plutôt ce que tu sais faire avec ce que tu sais.] S’ensuit l’enjeu de comment communiquer différents référentiels de professions (des standards « qui se parlent ») pour mieux situer les reconnaissances et attestations variées.
D’un point de vue systémique, le Canada est bien avancé dans l’utilisation d’attestations et badges numériques, contrairement au Québec qui aura donc besoin d’outils et de processus pour mieux reconnaître les compétences des individus. Ces avancées permettront une meilleure reddition de compte des sommes importantes présentement investies en formation continue.
Mais qu’en est-il de la valeur d’un badge? Quels sont les défis de la validation de celui-ci? Pour Maxime Pelchat du CADRE21, organisme œuvrant en développement professionnel des enseignants, le badge numérique opère dans un cycle. D’abord, l’octroyeur avec ses critères et référentiels, permet à l’individu – le récipiendaire – de démontrer ses acquis et compétences, le situant ainsi au cœur du processus. La valeur du badge devient manifeste aux yeux de l’appréciateur externe (l’employeur, les RH, la communauté…). Couplé avec des artéfacts numérisés joints au dossier qui démontrent les acquis et compétences développés sur le sujet de formation, le badge ainsi affichable et exportable vient appuyer l’expression de compétence acquise ou développée; c’est un peu comme « j’ai développé la compétence X et en voici une preuve ».
La vérification est multiple : on peut vérifier la crédibilité de l’octroyeur, l’identité du récipiendaire et la nature de la reconnaissance émise.
(Illustration : Maxime Pelchat)
Fait important à souligner, la validation des preuves soumises pour un badge peut faire une large place au regard humain et non seulement à un processus automatisé d’attribution de badge. Il en résulte de grandes possibilités de rétroactions personnalisées et aidantes, vitales pour un apprentissage de qualité, selon la ressource humaine mise en service par l’octroyeur. Cet aspect, selon Pelchat, est fort apprécié des apprenants et est source de motivation pour un développement professionnel continu. Quant à l’automatisation de l’attribution de badges, les développements en intelligence artificielle à cet égard sont à surveiller.
Autres questions soulevées : Quand on détient un badge, comment l’utiliser? Quels sont des exemples d’intégration réussie? Sur une base individuelle, les détenteurs de badges les affichent soit sur la plateforme émettrice ou encore en exportent un URL encrypté pour afficher sur un portfolio professionnel, du genre LinkedIn. Mais selon Pelchat, collectivement et hormis quelques initiatives existantes notamment dans le réseau collégial québécois, nous n’en sommes qu’au début d’une démarche systémique. À son avis, il importe de mobiliser davantage les milieux de formation autour d’une culture de « rendre l’invisible visible » et, plus encore, « rendre le visible utile ». La place à donner aux référentiels utiles et interinstitutionnels reste entière. D’ailleurs, le Québec vient de légiférer une obligation d’un minimum d’heures de formation annuelle pour ses enseignants, ce qui se traduit par un enjeu de traces laissées au dossier professionnel; la micro-certification apparaît comme une solution importante.
Pelchat souligne enfin que la pandémie aura servi à amplifier l’urgent besoin de reconnaître les nouvelles compétences technopédagogiques d’un grand nombre d’enseignants. Certains milieux saisissent la balle au bond dans leur effort à instaurer une culture de développement professionnel continu, valorisé et reconnu. Serait-ce notre moment Napster, notre point de bascule, peut-on se demander?
Garon-Épaule conclut en avançant que la valeur du badge aux yeux de l’apprenant et ceux de l’appréciateur se construit dans un écosystème de confiance, tel qu’illustré ci-dessous :
(Illustration : Geoffroi Garon-Épaule)
Le badge numérique est donc outil d’évaluation et outil de communication. On voit alors augmenter l’engagement et la persévérance de l’apprenant via son portfolio de réalisations, véritable « sac-à-dos » de ses compétences. L’apprentissage devient personnalisé dans des parcours de formation. En fin de compte, pour l’apprenant, cela permet de se mettre en valeur et de raconter sa propre histoire avec traces à l’appui. On peut alors parler d’empowerment (d’autonomisation) professionnelle.
Aux institutions à emboîter le pas alors… dans une perspective de démocratisation des savoirs reconnus.
Cette causerie est disponible en ligne, pour les intéressés. La prochaine causerie du REFAD aura lieu le 6 mai à 12h (heure de l’Est, UTC-4) et portera sur le sujet vital des modèles d’affaires en éducation, en particulier pour le mode associatif. On traitera des étendues des services freemium et premium. Les invités seront Julie Pigeon, directrice générale de l’association EdTeq et Hubert Lalande, de l’Université d’Ottawa. Pour s’y inscrire, vous pouvez cliquer ici.